Quand j'étais petit garçon, je repassais mes leçons
En chantant.

J’ai une sœur. Elle a deux minutes et trois secondes de moins que moi. On a toujours été proche, et quand on était gosses, on adorait regarder les albums photos. Il y a toujours eu plus de photos de moi, parce que notre père m’a mitraillé pendant deux minutes, puis il y avait presque plus de photos sur la pellicule. Maintenant, on a le numérique, mais comprenez qu’en 1990, ce n’était pas le grand luxe. Alors il y a un film entier sur moi, et un deuxième avec ma sœur et moi. Elle a toujours été le plus beau des bébés. On adorait ces photos, quand on était petit. Mais on a jamais remarqué qu’il n’y avait que nous, sur les photos. Nos parents n’y figuraient pas ; un bras par-ci, un bout de pull par-là… Mais aucun visage ébloui par la venue au monde de ces deux merveilles. Il nous a fallu longtemps pour nous en rendre compte. En attendant, nous menions une vie plutôt chouette, en plein Manhattan, dans un chouette penthouse. Notre… « Père », appelons-le ainsi, était riche, très riche. Mais pas autant que notre mère. Elle, c’était une vraie riche, une descendante de colons néerlandophones. Notre père était avocat, un avocat renommé qui avait sorti notre mère de prison alors qu’elle n’avait pas fait grand chose. Un cas facile, mais qui les a réunis. Ils étaient plutôt heureux, ensemble. Il y avait aussi Emily, qui avait quatre ans de plus que nous. Notre grande sœur. Je me rappelle toujours ses grands yeux verts ; elle était la plus belle. J’étais amoureux d’elle, quand j’étais petit. Mais évidemment, c’était un amour fraternel. C’était ma grande sœur, et mon idole. Mais maintenant, elle est morte, alors ça n’a plus beaucoup d’importance. Les détails sont à venir ; du moins, ce que j’en sais. Je vous dirais tout dans quelques lignes. L’important, c’était que Maïa, ma sœur jumelle, et moi, on était comme cul et chemise. Dans la même classe, à se disputer pour un rien et à se réconcilier tout de suite après. Sans savoir pourquoi, nous étions proches, trop proches, bien plus proches que d’Emily ou que de nos parents ; on mettait cela sur le compte du « on a vécu neuf mois dans le même utérus ». Mais si on avait su qu’il y avait autre chose… Je ne sais pas ce qui aurait changé entre nous. Ce qui est sur, c’est que ça aurait changé entre nous et nos parents. Et Emily.

Et, bien des années plus tard, je chassais mes idées noires
En chantant.

Et puis vint l’adolescence. Elle commence toujours plus tôt chez les enfants de stars. Il parraît qu’à Los Angeles, la moyenne d’âge de la première d’âge est à douze ans, chez les enfants de Madonna et toutes les autres stars du style. A New York, les stars du show-biz n’existent pas. A New York, ce sont les enfants issus des anciennes familles, les richesses anciennes. A douze ans, j’étais au collège, mais allez savoir pourquoi les lycéens m’adoraient. En même temps, j’étais plutôt grand et mur pour mon âge. Et le fait d’être le petit frère de « la » fille, Emily, jouait en ma faveur. Ils étaient tous amoureux d’elle. Je profitais pas mal de cette popularité. J’allais à des fêtes et je sortais avec des filles de seize ans. Je trouvais ça vachement vieux, quand j’en avais douze. Je trouvais que la clope, c’était malsain, jusqu’à ce que j’en fume une. Puis deux, puis que je devienne accro. C’est là que ma crise d’adolescence a commencé, pour ne jamais s’arrêter. Mes parents n’aimaient pas mes fréquentations, et d’ailleurs ils en voulaient à Emily ; elle-même n’était pas ravie que, de un, je squatte avec elle, et de deux qu’elle en soit tenue responsable par nos parents. Quant à Maïa, eh bien… C’était autre chose. Dès qu’on était tous les deux, je retombais en enfance, on jouait, on s’amusait, on parlait de tout et de rien. Maïa, c’était comme ma conscience. Je me rappelle, j’avais quatorze ans et je m’étais allumé une clope, parce que nos parents n’étaient pas à l’appartement. J’étais un peu devenu le chef des cool de NYC, depuis qu’Emily et tous ses amis étaient à l’université. Donc, je m’étais allumé une clope, comme ça. C’était devenu naturel. Mais elle, elle ne m’avait jamais vu fumer, du moins d’aussi près. Elle était au courant, mais je m’en cachais devant elle, plus encore que devant mes parents. Et là, elle m’a tapé la main, la clope est tombée par-dessus le balcon. J’ai pété un câble puis je me suis enfermé dans ma chambre pour fumer ma clope tranquille, mais je savais bien qu’elle recommencerait probablement. Enfin, tout ça pour dire qu’on s’était plutôt éloigné, dans notre personnalité. Mais il y a un truc qui nous a plutôt… Rapprochés.

Rappelez-vous, je vous en ai parlé. Notre album photo, avec juste des photos de nous, pas de nos parents. Eh ben je suis retombé dessus. Et là, ça m’a frappé, mais vraiment. Aucune photo de ma mère ni de mon père. Alors, comme un con, j’ai fait un truc que j’aurais du éviter ; j’ai fouillé en dessous du lit. Vous comprenez, c’est en dessous de leur lit que nos parents ont toujours tout caché : les cadeaux de Noël, notre boîte avec nos dents de lait et tous les trucs qu’on pouvait pas voir quand on était gosses. Je ne savais pas ce que je cherchais, mais je cherchais. Puis j’ai tout trouvé. Actes de naissances, photos, informations,… Nos parents n’étaient pas nos parents. J’avais seize ans, et j’ai trouvé une photo avec une femme… Non, une fille de mon âge tenant deux bébés dans ses bras. Et ces bébés, c’étaient Maïa et moi.

C'est beaucoup moins inquiétant de parler du mauvais temps
En chantant.

« Si vous vendez des biscuits pour le lycée, je viens d’en acheter à deux adolescents il y a moins de vingt minutes. » « Non, euh, je ne suis pas là pour ça. » « Qui êtes vous, alors ? » « Je… Je suis Percy. Percy Rose, ou plutôt… Cunningham ? »

Je suis rentré dans cette maison. Je pensais tomber sur ma mère, mais cette femme paraissait trop vieille pour être la jeune fille de la photo. Peut-être que c'était la nouvelle femme de notre père, qui sait ? En tout cas, elle se nommait Cunningham, et toutes les informations que j'avais obtenues m'avaient mené là-bas. Alors, qui était cette femme de plus de cinquante ans dont les yeux me rappellaient ceux de Maïa, et qui avait... Qui avait le même nez que moi !? Ces ressemblances excluaient la possibilité de la belle-mère. Mais j'étais loin de la vérité, encore une fois.

Cela faisait deux mois que j'étais parti de chez moi. Mon émancipation aurait pu être plus difficile, mais mes parents l'ont acceptée. Quand ils nous ont annoncé, à Maïa et moi, que nous avions été adoptés, je l'ai très mal pris. Beaucoup moins bien que ma petite sœur. J'avais demandé mon émancipation, puis j'étais parti. Mes parents... Les Rose, je veux dire, avaient décidé de me verser une jolie somme tous les mois sur un compte pour que je puisse survivre, et ils m'avaient laissé partir retrouver mes parents. Ils attendaient des nouvelles; je ne leur en ai jamais donné. Je ne leur ai jamais dit que la femme était en réalité ma grand-mère. Qu'elle était veuve, que les parents de ma mère étaient décédés, comme leurs enfants. Ils avaient eu des jumeaux alors qu'ils n'avaient que seize ans. Ils avaient fui ensemble car leurs parents ne voulaient pas qu'ils nous gardent, et, ironie du sort, ils sont mort dans un accident de voiture. Les Rose nous ont recueilli. J'ai regretté d'avoir quitté New York pour Los Angeles, mais j'y étais, maintenant. Alors j'y suis resté. Je me suis inscrit dans un lycée public car la réputation des Rose ne m'avait pas suivie à LA. J'étais dans un lycée de pauvres, et j'y allais avec ma voiture d'Iron Man. On m'a regardé de travers pendant deux ans, moi, le type qui vivait tout seul, au passé louche, la veste en cuir et la coke dans la poche intérieure. Je paraissais riche, extérieurement, mais d'une drôle de manière. En fait, on comprenait que je l'avais été, mais que j'étais dans la dèch, maintenant. Alors j'ai fréquenté des types plutôt incorrectes, je vivais seul dans un appart' plutôt spacieux, sans trop de rêgles. Pourtant, Maïa me manquait. Emily aussi, me manquait. Je n'avais pas de nouvelles d'elles. Les Rose, je les détestais toujours autant à cause du mensonge qu'était ma vie. Mais une décision s'imposait à moi. Et cette décision, elle rime avec faculté.

Columbia, c'était mon rêve, à Maïa et à moi. Alors la réponse s'imposait. Je retrouverais ma sœur. Et mon autre sœur aussi, en fait, étant donné qu'Emily avait toujours été là pour moi. Elle ne me mentait pas. Elle était là pour moi. Je me réjouissais de les retrouver.

Et c'est tellement plus mignon de se faire traiter de con
En chanson.

Le hic, c'est que Columbia était fermée. Je ne savais pas pourquoi, mais je m'en souciait pas plus que ça. J'ai pris ça comme un signe du destin ou quelque chose de ce genre, et je me suis porté candidat à UCLA. D'ailleurs, un miracle s'est produit, parce que c'est une université prestigieuse, et ils m'ont quand même tout de suite acceptés. Je n'avais toujours pas de nouvelle, ni des Rose ni de Maïa ni d'Emily. J'y pensais quand même tous les jours. J'étais tranquille dans mes études. Puis j'ai vu à la télévision que Columbia avait réouvert. J'ai mis toutes mes affaires, toute ma vie dans un sac, et je suis parti; toujours avec ma super-voiture. Il faisait beau, j'ai fais le trajet en voiture, elle était décapotée et je fumais au volant, avec mes lunettes de soleil, ma veste en cuir et de la musique à fond. C'était génial, c'était le rêve. J'étais... C'est quoi, déjà, le mot ? Ah ouais. Heureux. Je ne connais plus vraiment ce sentiment.

Je suis arrivé, je me suis installé à River Hogan. J'ai croisé quelques types que j'avais déjà vu, des potes d'Emily, des types du collège. Ils me regardaient avec une drôle de tête. Une tête d'enterrement. C'était angoissant, en fait. Et puis j'ai croisé ma sœur. Je l'ai vue sur le campus; c'était Maïa et elle avait énormément changé sans avoir changé d'un poil. Je l'ai prise dans mes bras, elle avait l'air heureuse, fâchée en même temps. Plutôt fâchée, en fait. Elle m'a engueulé. Je lui ai dit de se calmer, je lui ai demandé où était Emily. Elle s'est calmée puis m'a dit qu'elle était déçue, puis désolée pour moi, qu'elle aurait aimé me prévenir. Puis elle m'a dit qu'Emily était morte quelques semaines après mon départ. J'ai chialé comme un gosse. On s'est fait un gros calin et puis on a décidé de tout oublier. On avait beaucoup de choses à rattraper. Je n'étais plus le même, et elle non plus. Tous les deux, suite à différents évènements, avons troqué notre joie de vivre contre un certain pessimisme. On a ensuite décidé d'enterrer les Rose, et d'oublier des Cunningham, et de créer une nouvelle famille. Les Rose-Cunningham. Et on allait régner sur Columbia.